21 Mar « Lumen Coeli, lux Dei » : les vitraux médiévaux de la Cathédrale de Clermont (XIIe-XIIIe siècles)
Les « Amis de la Cathédrale et de l’Art sacré » de Clermont ont coédité avec « la Revue d’Auvergne » un ouvrage sur les verrières médiévales de la Cathédrale de Clermont-Ferrand.
Cet ouvrage est disponible soit à la cathédrale lors des activités de l’association, soit dans les librairies de Clermont-Ferrand, au prix de 25 euros. Il présente une couverture photographique de l’intégralité des médaillons du XIIe et XIIIe siècles, en expliquant comment ils prenaient place dans les verrières d’origine.
La cathédrale de Clermont clôt la série des grandes cathédrales en gothique rayonnant du nord de la France. Construit dans la deuxième moitié du XIIIe, le chœur de la cathédrale de Clermont possède un ensemble méconnu de verrières de cette époque : les verrières hautes présentent de grands personnages, dans un décor en grisaille, tandis que les verrières des chapelles rayonnantes racontent des vies et martyrs de saints ; deux de ces dernières furent vitrées avec des médaillons antérieurs à la construction gothique.
Il y a juste cent ans, la restauration de ces verrières par le verrier Jean-Félix Gaudin s’accompagnait de la création de plus de 80 médaillons, qui remplacèrent dans les vitraux narratifs ceux qui avaient disparu ou furent alors jugés irrécupérables. La lecture des verrières narratives qui résultait du choix de ces nouvelles images fut consacrée en 1932 par le livre de Henri du Ranquet, Les vitraux de la Cathédrale de Clermont-Ferrand ; tous les travaux publiés depuis la reprennent.
S’inspirant principalement de la Légende dorée de Jacques de Voragine, Jean-Félix Gaudin et Henri du Ranquet déplacèrent des médaillons, inventèrent des épisodes et imaginèrent même de nouveaux personnages. La qualité de la restauration rend difficile l’identification des scènes recomposées, d’autant qu’elle s’accompagna de la remise en plomb de la totalité des médaillons. Dans « Lumen Coeli, Lux Dei », les médaillons créés ont été identifiés à partir du livre de Du Ranquet, de la thèse de Jean-François Luneau sur le verrier restaurateur Gaudin, du Corpus Vitrearum paru en 2011, et à partir de la couverture photographique des verrières réalisée en 1912, avant la restauration.
Il faut toutefois noter l’honnêteté de Gaudin, qui réemploya des scènes dont il n’avait pas l’interprétation, et qui trouva pour eux une lecture inattendue : ainsi, saint Georges présentant sa femme au roi Dacien, ou sainte Marguerite martyre sur un gril … ce sont ces médaillons qui permettent de prouver l’existence d’une autre composition des verrières primitives.
Il subsiste donc environ 400 médaillons médiévaux, tant du XIIe que du XIIIe siècles, qui sont l’objet de ce volume. Les médaillons composés au XXe n’ont pas été pris en compte dans cette nouvelle étude.
Les développements qu’a connus depuis une cinquantaine d’année l’histoire des institutions, de l’iconographie et de la liturgie, mais aussi les progrès des outils photographiques et numériques, permettent de proposer une nouvelle lecture des verrières, et de recomposer les verrières dans leur état de la fin du XIIIe.
C’est le chapitre cathédral, maître d’ouvrage, qui avait conçu dans la seconde moitié du XIIIe siècle ce programme iconographique, prolongement de sa liturgie ; ses livres liturgiques (lectionnaires, bréviaires et missels) contemporains des verrières, forment ainsi la clef de lecture pour proposer la reconstitution de leur état originel. Il est d’ailleurs logique de la chercher dans les textes locaux, à un moment où l’imprimerie n’avait pas encore harmonisé les bréviaires, et où la liturgie romaine n’avait pas été imposée. Les verrières narratives ont été créées à partir des textes propres à la liturgie de Clermont : ainsi les scènes étranges trouvent un sens cohérent. L’identification de ces images laisse toutefois une question sans réponse : pourquoi le choix de certains épisodes, au détriment d’autres ?
Le programme général des verrières trouve son explication dans les litanies de Clermont : chaque diocèse ayant ses saints particuliers, les litanies lui sont propres. Récitées en particulier le jour anniversaire de la dédicace de l’église, elles présentent la cour céleste autour du Christ. A Clermont les verrières hautes déroulent la première partie des litanies : Vierge Marie, apôtres, prophètes et rois, tandis que les verrières basses exposent, de part et d’autre de saint Jean-Baptiste, les confesseurs, martyrs, et vierges, invoqués particulièrement à la Cathédrale, dont les reliques présentes assurent l’efficacité des prières d’intercession. Un document de cette époque donne le nom des autels du déambulatoire, ce qui est très rare. Sept des neuf chapelles avaient des reliques des saints auxquels l’autel était dédié, et une verrière narrative exposant la vie de ce saint patron. Chacun de ces saints était cité dans les litanies de Clermont.
Quand la légende du saint apparaît dans les légendiers de Clermont, la concordance entre les scènes représentées et le passage de la vie est lumineuse (exemple : saint Austremoine et le bûcheron). Quand la vie du saint est absente des légendiers conservés, elle peut être identifiée à l’aide des bréviaires, qui indiquent l’incipit de la vie qui était lue à Clermont. On peut même déduire de la présence de certains épisodes dans les vitraux leur présence dans la version de la légende contenue dans les manuscrits clermontois.
Texte traduit du Ms 147 : « Alors le diable qui plonge les autres dans une eau profonde, voyant que celui-là arrive indemne sur la rive, crie à son confrère
et tout le monde l’entend : mais que fais-tu ? pourquoi tu ne tues pas celui qui a traversé avec tant d’audace.
Et l’autre lui répondit : ce ne m’est pas possible, même si je le voulais, car il a reçu le pain béni de la main d’Austremoine. »
Les chanoines avaient aussi intégré dans les verrières deux « Miracles de la Vierge », ceux de saint Bon et de Théophile, que Françoise Laurent commente, en expliquant le développement de ces légendes venues d’Angleterre. Le « Miracle de Théophile » est présent dans la plupart des cathédrales gothiques, soit en vitraux, soit en sculpture. La pose des fenêtres de Clermont est contemporaine de la pièce de Rutebeuf, et souligne les développements théologiques de cette époque. Quant au miracle de saint Bon, la vénération jusqu’à la Révolution de la chasuble donnée par la Vierge au saint montre l’importance du culte de saint Bonnet à la Cathédrale.
Le programme général des verrières, hautes et basses, le déroulement des vies des saints des verrières narratives, et leur adéquation avec la liturgie du chapitre de Clermont, tout cela permet de restituer l’état des verrières lors de leur installation dans la toute nouvelle cathédrale gothique à la fin du XIIIe siècle. On distingue aussi la fonction de ces verrières au XIIIe siècle : le jour de la fête du saint, la première messe était célébrée dans sa chapelle, face aux verrières qui reprenaient les lectures de matines de la fête : les vitraux avaient alors une fonction analogue à celle que les retables eurent dans les siècles suivants.