Dans les années 1220, le chapitre de la cathédrale de Clermont décida l’installation de plusieurs verrières, en faisant appel à des verriers travaillant à Lyon. Parmi ces vitraux se trouvait une Passion du Christ.
Cette Passion se présentait comme un commentaire typologique du récit de la Passion du Christ : des médaillons figurant les épisodes de la Cène, l’arrestation de Jésus, la flagellation, la Crucifixion, etc (les «antitypes »)…étaient entourés de scènes préfigurant ces mêmes épisodes dans l’Ancien Testament (ex : le serpent d’airain pour la crucifixion), ou illustrant de façon allégorique ces évènements (pour l’Ascension, des aiglons s’envolent vers le soleil) (les « types »). On retrouve dans plusieurs églises ces représentations, ainsi à Bourges, Chartres, Tours, Canterbury…De même, certains manuscrits utilisaient cette manière de commenter les Écritures, telles les Bibles moralisées.
La restauration de J.F. Gaudin au XXe a ignoré la bonne composition de la verrière originale, et a éparpillé les médaillons « type », en regroupant les scènes de la Passion. Ces scènes se trouvent dans une lancette de la Chapelle Sainte-Anne. De bas en haut, on suit le déroulement des Évangiles.
Le premier de ces épisodes figure, malheureusement de manière très restaurée, la Cène : nous célébrons aujourd’hui, jour du Jeudi-Saint, l’institution de L’Eucharistie qui se déroula lors du dernier repas du Christ, où il partagea le pain et le vin avant de demander aux apôtres: «Faites ceci en mémoire de moi».
Le Christ (moderne) est au centre, entouré de de 11 apôtres auréolés. Un de ceux-ci est penché sur l’épaule de Jésus, tandis qu’un autre murmure une question. Ils sont tous attablés, et devant eux se trouvent coupe contenant un poisson, aiguière, et ciboire. Devant la table un petit personnage, qui n’a pas d’auréole, tourne une main vers sa poitrine, et tend l’autre pour recevoir quelque chose.
Les explications de cette scène se trouvent dans les Évangiles : reprenons ces textes chez Mathieu, Luc et Jean.
Math, 26, 20-25
Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze.
Pendant le repas, il déclara : « Amen, je vous le dis : l’un de vous va me livrer. »
Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : « Serait-ce moi, Seigneur ? »
Prenant la parole, il dit : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer
Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là !
Judas, celui qui le livrait, prit la parole : « Rabbi, serait-ce moi ? » Jésus lui répond : « C’est toi-même qui l’as dit !
Luc 22, 14-2
Quand l’heure fut venue, Jésus prit place à table, et les Apôtres avec lui.
Il leur dit : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir !
Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. »
Alors, ayant reçu une coupe et rendu grâce, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous.
Car je vous le déclare : désormais, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. »
Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en disant : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi.
Et pour la coupe, après le repas, il fit de même, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang répandu pour vous.
Et cependant, voici que la main de celui qui me livre est à côté de moi sur la table.
Jn 13, 21-27
Après avoir ainsi parlé, Jésus fut bouleversé en son esprit, et il rendit ce témoignage : « Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera. »
Les disciples se regardaient les uns les autres avec embarras, ne sachant pas de qui Jésus parlait.
Il y avait à table, appuyé contre Jésus, l’un de ses disciples, celui que Jésus aimait.
Simon-Pierre lui fait signe de demander à Jésus de qui il veut parler.
Le disciple se penche donc sur la poitrine de Jésus et lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? »
Jésus lui répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. » Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote.
Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. Jésus lui dit alors : « Ce que tu fais, fais-le vite. »
Ainsi, le disciple que Jésus aimait, (saint Jean selon la Tradition), penché sur sa poitrine, demande au Christ, à l’instigation de saint Pierre, qui va le trahir. Et c’est Judas, qui se trouve devant la table, séparé des autres apôtres, qui prendra la « bouchée trempée dans le plat », et qui ira livrer Jésus.
La seule interrogation qui pourrait demeurer après avoir lu ces textes porte sur le poisson qui est posé sur la coupe : pourquoi pas un agneau ?
Le symbole du poisson est très ancien : saint Augustin affirme dans son commentaire de l’Évangile de saint Jean que le poisson mangé dans le repas sacré s’identifiait au Christ, le repas au poisson devenant un symbole de la nourriture eucharistique. Le thème est repris de la littérature messianique juive, et est devenu le symbole des chrétiens : en grec, la langue des évangiles, le mot poisson s’écrit « ichthus ». Chacune des cinq lettres grecques est le début d’un titre christologique que l’on traduit : Jésus, Christ, Fils de Dieu, Sauveur.
Il y a au Trésor de la cathédrale (que nous espérons voir bientôt de nouveau ouvert !) une autre représentation typologique de la Cène. C’est une peinture sur bois, fin XVIe ou début XVIIe siècle, provenant de l’église de St-Jean-des-Ollières, composée de neuf panneaux insérés dans une ossature de bois, sans doute postérieure, et utilisée comme devant de tabernacle. Visiblement, les scènes ont été ajustées à leur nouveau cadre, parfois en rognant une partie.
Quatre scènes inférieures illustrent des passages du Nouveau Testament, et quatre scènes supérieures des morceaux de l’Ancien Testament s’y rapportant. Le panneau central figure Dieu le Père, et la Colombe de l’Esprit-Saint.
Les deux scènes se rapportant à l’Eucharistie sont en mauvais état, et des morceaux de toile ont été apposés pour éviter la disparition de la peinture, en attendant une restauration (que les Amis de la Cathédrale sont prêts à financer…)
La scène du haut (type) figure la Pâque juive, telle que le livre de l’Exode (12, 23-29) la raconte. La scène du bas illustre le repas du Jeudi–Saint, et l’institution de l’Eucharistie.
Moïse et ses compagnons, debout, le bâton à la main, la ceinture aux reins, s’apprêtent à manger l’agneau pascal, avant de fuir Pharaon. La perspective est soulignée par le dallage, l’ellipse de la table, et l’architecture de l’arrière-plan, en marbre. Les personnages ont des robes courtes, des bottes ouvragées. Deux des juifs portent un couvre-chef. Moïse désigne le ciel de sa main droite.
Jésus et ses apôtres sont attablés devant l’agneau pascal, saint Jean, les bras croisés, étant placé devant le Christ. Judas, en robe bleue et manteau rouge, se désigne de sa main gauche. Les corps sont tordus, en mouvement : le peintre souligne combien les apôtres sont bouleversés par l’annonce par Jésus de la trahison d’un des siens. Des palmes encadrent la scène.
Les scènes sont théâtralisées, les coloris sont vifs, les personnages ont des têtes allongées, éloignées des proportions idéales : on s’éloigne ici des canons de la Renaissance pour entrer dans le mouvement maniériste.
L’élément essentiel du rite pascal, coutume nomade à l’origine, consistait dans l’immolation d’un agneau dont le sang était considéré comme une protection contre fléaux et maladies (Ex 12, 21-22 ; 22, 14-17 ; Lv 23, 10-12). Lorsque les prophètes annoncèrent la libération de l’exil babylonien, ils firent allusion à un nouvel Exode et reprirent l’image de l’agneau pascal. La fête de la Pâque, au cours de laquelle cet agneau était immolé et consommé, devint alors le signe de la libération future considérée surtout comme une libération du péché. En découvrant en Jésus le véritable agneau (Jn 13, 1 ; 18, 28) et en faisant coïncider l’immolation des agneaux au temple avec la mort du Christ, (Jn 19, 14.31 42 ; 1 Co 5, 6-8), nous comprenons que toute la doctrine du rite pascal s’accomplit dans le sacrifice du Christ qui rassemble effectivement le peuple de Dieu, l’Église, lui procure vraiment la libération totale de l’emprise du mal, et situe le chrétien comme un pèlerin en marche vers la Terre promise (1 P 1, 17) où l’Agneau est vainqueur. (d’après Thierry Maertens)
Le récit de la Pâque juive et celui de l’institution de l’Eucharistie sont les deux textes lus lors de la célébration liturgique du soir du Jeudi-Saint.
Le tableau de Saint-Jean-des Ollières est un excellent commentaire de ces deux textes, et il serait bon de pouvoir le montrer de nouveau au Trésor de la Cathédrale.
Le Jeudi Saint est également représenté au Trésor par un tableau de Simon Vouet, provenant de l’église d’Authezat.
Ce tableau faisait à l’origine partie d’une série commandée par le chancelier Pierre Séguier pour la chapelle de son hôtel de la rue du Bouloi à Paris, hôtel qu’il avait acheté en 1633. (Voir article de Yannick Nexon et l‘inventaire après décès)