Transport des restes d'Henry III, gravure de " Henry IV et Louis XIII", 1887, p 15
Transport des restes d'Henry III, gravure de " Henry IV et Louis XIII", 1887, p 15

Plan :

Introduction.

 

I  La désorganisation du diocèse à la tête

La personnalité de l’évêque

Clermont fidèle au roi

L’exil de l’évêque
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II La désorganisation du diocèse dans ses membres

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Perturbations du système de collation des bénéfices

Perturbation des prises de possession

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Epilogue : l’amorce du retour à l’ordre

Introduction :

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La Ligue, épisode final des guerres de religion, n’a pas grand-chose à voir, en Auvergne, avec la Ligue parisienne ou celle du Nord du royaume, et même avec celle d’une ville comme Lyon. Avant la fin de l’année 1588, la province semble être moins affectée que d’autres par le conflit qui oppose les partisans de la fermeté et de l’intransigeance à l’égard de l’hérésie et de ses sectateurs aux partisans de la tolérance ; depuis la mort du duc d’Anjou en juin 1584, Henri III n’ayant plus d’héritier catholique, les partisans de la tolérance se confondent avec ceux du respect des règles de la succession monarchique, dût-il amener sur le trône un roi protestant. L’assassinat du duc de Guise et de son frère le cardinal, les 23 et 24 décembre 1588, à Blois où étaient réunis les Etats généraux du royaume, fut le détonateur qui a précipité la province dans la guerre civile, alors qu’elle vivait depuis une dizaine d’années dans un état de guerre larvée, dû principalement à la présence dans un certain nombre de châteaux de garnisons qui vivaient sur le pays.

 

Le diocèse, à sa tête, fut affecté par la division de la province, puisque la ville de Clermont, siège de l’évêché, s’était résolument rangée dans le parti du roi, tandis que l’évêque était le propre frère du chef de la Ligue en Auvergne. C’est donc dans ses institutions centrales que la vie du diocèse fut bouleversée par l’affrontement des deux camps.

Par ailleurs l’état d’anarchie dans laquelle la province s’est enfoncée à partir des années 1587-1588, encore plus qu’elle ne l’était au cours des années précédentes, a aggravé les perturbations qui affectaient le fonctionnement quotidien et la vie des institutions locales et paroissiales.

 

En préliminaire, il convient de rappeler que, en Basse-Auvergne notamment, la ligne de partage entre les Ligueurs et leurs adversaires n’était pas confessionnelle. Tous étaient catholiques, et dans le serment que devaient prêter ceux qui ralliaient l’un ou l’autre camp, tous juraient de vivre dans la religion catholique : les partisans du roi juraient « de vivre en la relligion catholique, apostolique et romaine soubz l’obeyssance du roy » ([1]), tandis que les ligueurs avaient juré de « vivre et mourir en la religion catholicque, apostolicque et roumaine (…) soubz l’autorité et protection dud. sieur de Randan » ([2]) : la ligne de partage des deux camps résidait donc dans l’autorité politique qu’ils reconnaissaient ; il convient cependant de préciser que les ligueurs complétaient leur serment en affirmant leur « ferme volonté et sincere intention de s’oppozer par tous moyens possibles auls dessaings et entreprinses des hereticques, leurs fauteurs et adherans » : c’est bien la tolérance, attitude alors politique et non pas religieuse, qui était affichée comme pierre d’achoppement, même si les choix pouvaient aussi être influencés par des considérations d’un autre ordre (enjeux de pouvoirs locaux, rivalité des réseaux sociaux, etc.).

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[1] Serment d’union demandé par le « conseil du roi » de Clermont aux gentilshommes le 5 août 1589, à l’annonce de la mort d’Henri III (5 C 33, f° 33 r°).

[2]  Serment demandé aux délégués des villes présents à Billom le 21 avril 1589, sur convocation du comte de Randan (5 C 36, f° 2 r°)

I La désorganisation du diocèse à la tête

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La personnalité de l’évêque

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François de La Rochefoucauld n’était évêque de Clermont que depuis un peu plus de trois ans au moment où son diocèse se trouva plongé dans la guerre civile.

Fils de Charles de La Rochefoucauld, comte de Randan, et de Fulvie Pic de La Mirandole (qui avait été élevée auprès de Catherine de Médicis), il était né à Paris le 8 décembre 1558. A la mort de son père, tué en 1562 au siège de Rouen, dans les rangs catholiques, sa mère fut appelée à la cour par Catherine de Médicis ; le jeune François fut confié à un oncle, puis de 1572 à 1579 aux Jésuites du couvent de Clermont, où il étudia la philosophie puis la théologie. Tonsuré en septembre 1570, il obtint en 1572 la commende de l’abbaye St-Philibert de Tournus, dont le cardinal Louis de Lorraine de Guise s’était démis en sa faveur. En 1579, il était nommé maître de la chapelle du roi, et entreprenait la même année un voyage en Italie, au cours duquel il séjourna quelque temps auprès de Charles Borromée.

Elu évêque de Clermont le 29 juillet 1585, avec dispense d’âge et de grades, il fut promu aux ordres mineurs le 18 septembre suivant, au sous-diaconat le 20, au diaconat le 27, et à la prêtrise le 27 septembre ; le 6 octobre, il était sacré évêque à Paris.

https://lectura.territorium.io/galerie/loi/AD042_13_CHPOR315_0001_C_900.jpg
Le cardinal de la Rochefoucault ; https://lectura.territorium.io/galerie/loi/AD042_13_CHPOR315_0001_C_900.jpg

Dès le lendemain, il prenait possession de son évêché ([1]), par procureur interposé, et le 14 octobre il reconduisait dans les fonctions de vicaire général l’un des chanoines que le chapitre cathédral avait désigné pour en faire les fonctions pendant la vacance du siège épiscopal, Etienne Mauguin ([2]). A la fin du mois de décembre au plus tard, il était présent dans son diocèse, au château épiscopal de Beauregard d’abord ([3]), puis à Clermont à partir du 5 février, date à laquelle il fit son entrée dans la ville ([4]).

Si la précipitation avec laquelle il avait été promu dans les ordres sacrés – moins d’un mois entre les ordres mineurs et l’épiscopat – laisse deviner le caractère imprévu de sa promotion, les débuts de son épiscopat révèlent chez ce jeune ecclésiastique de 27 ans, qui a été éduqué dans la proximité de la Cour et l’entourage des Guise, un sérieux et une volonté ferme d’assumer les fonctions de sa charge. Dès lors qu’il s’est rendu dans son diocèse, et il s’est écoulé moins de trois mois avant qu’il le fasse, nous le voyons en prendre en main lui-même l’administration : de février à juin, il ne quitta pas Clermont, signant en personne toutes les collations de bénéfices et les visas de bulles pontificales. Entre le 28 février et le 31 mai, il donna la tonsure à 477 clercs, et ordonna 340 acolytes, 109 sous-diacres, 215 diacres et 188 prêtres ([5]), dans la chapelle de la maison épiscopale, celle du couvent des Cordeliers ou dans la cathédrale. Il partagea ensuite les mois de juin et juillet entre Beauregard et Randan, et était à nouveau à Clermont au début du mois d’août.

Il s’absenta alors du diocèse jusqu’en juillet 1587, pendant près d’une année, qu’il semble avoir passée à Paris (l’on était alors au plus fort de la rivalité entre les Guise et le duc de Joyeuse) ([6]).

S’il était de retour en août 1587, il résida désormais plus souvent à Beauregard qu’à Clermont, et les registres d’insinuations font apparaître de longues semaines où seul le vicaire général Mauguin signa les actes de l’administration épiscopale. Il s’absenta ensuite pour participer aux Etats généraux qu’Henri III avait convoqués à Blois. S’il y était présent dès leur séance d’ouverture le 16 octobre ([7]), il en partit sans attendre leur dispersion, aussitôt après l’assassinat des Guise, et rentra dans son diocèse, accompagné de sa mère qui quittait la cour sans attendre la mort de Catherine de Médicis ([8]). Il fit d’abord étape à Randan, où il était le 30 décembre, puis, sans passer par Clermont ([9]), il gagna son château de Mauzun où il passa les premiers mois de l’année 1589.

Dans le même temps, son frère, comte de Randan, gouverneur et lieutenant général en Auvergne, prenait effectivement la tête du parti ligueur en Auvergne, tant comme chef militaire que comme représentant du duc de Mayenne et du « conseil de l’union » auprès des villes ligueuses.
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[1]  La Morinière (M.-M. de), Les vertus du vray prelat representées en la vie de Monseigneur l’eminentisime Cardinal de La Rochefoucault (…) , Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1646, p. 395.

[2]  1 G 1281, f° 1 r° ; cette nomination est le premier acte premier transcrit dans le nouveau registre que le greffier des insinuations ouvre pour ce nouvel épiscopat.

[3]  Il est à Beauregard les  16 décembre 1585 (1 G 1281, f° 27 r°), 4 janvier 1586 (ibidem, f° 64 v°), 16 janvier (ibidem, f° 72 v°), 17 janvier (ibidem, f° 194 r°), et 22 janvier (ibidem, f° 82 v°), avec un bref séjour à Randan où sa présence est attestée le 30 décembre 1585 (ibidem, f° 31 v°).

[4]  1 G 1281, f° 64 v°, et 3 E 500/225.

[5]  Bibliothèque diocésaine, manuscrit A 20.0080 : registre des ordinations ; les chiffres sont impressionnants : l’évêque semble rattraper le retard accumulé depuis la dernière ordination attestée dans le diocèse qui remonte au 25 mai 1584.

[6]  Trois actes seulement de l’administration épiscopale sont signés par lui pendant cette période, tous trois datés de Paris, les 24 mars, 23 avril et 27 mai (1 G 1281, f° 322 r°, 328 r°, 352 r°).

[7]  1 G 1283, f° 302 r°.

[8]  La Morinière, p. 35, rectifié par les délibérations de la ville de Clermont qui situent bien ce départ avant la mort de la reine mère. Selon La Morinière, Fulvie Pic de La Mirandole se retira d’abord au château de Mauzun puis à Billom, où elle finit ses jours  dans les exercices de piété, peu avant la promotion de son fils au cardinalat. Sa présence à Billom paraît attestée par celle de son aumônier, Nicolas Lebauld, prêtre du diocèse d’Autun, qui est pourvu le 23 septembre 1592 d’un canonicat de Billom, dont il prend possession en personne le 9 octobre (1 G 1284, f° 185 r°-v°).

[9]  3 E 500/228, délibérations de la ville de Clermont, f° 11 v° et 16 v°.

Clermont fidèle au roi

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Le séjour de Clermont lui était de fait désormais impossible, la ville ayant résolument pris le parti du roi, dès les premiers jours de 1589, et se ralliant immédiatement et sans hésitation à Henri IV après l’assassinat d’Henri III (2 août 1589). Cette prise de position avait immédiatement été suivie de mesures de sûreté, prises par précaution sans même attendre le début des opérations militaires en Basse Auvergne ; prises à partir de la fin du mois de mars 158, elles étaient dirigées, à la différence de celles prises les années antérieures, contre les éventuels ennemis de l’intérieur de la ville.

Parmi ces mesures de sûreté, beaucoup visaient spécifiquement le clergé, qui semble avoir été tenu a priori pour suspect.

Cette hostilité n’était absolument pas due à des motifs religieux, la ville n’étant pas moins catholique que celle de Riom ([1]) ; nous n’en retiendrons que deux signes. Lorsque, en mars 1589, il fut rapporté que le comte de Randan craignait que Clermont accueille une garnison de « ceulx de la Religion », cela fut ressenti comme une offense, de même qu’ en juillet 1589, les propos de Guillaume Champflour, receveur des décimes, qui dans un moment de colère, accusa les membres du conseil de la ville de Clermont d’être des « huguenots » ([2]). Autre indice : dans les ordinations auxquelles procède François de La Rochefoucauld entre 1589 et 1594, alors que l’antagonisme entre les deux camps est au plus fort, et que ces ordinations se déroulent dans les fiefs du parti ligueur –Mauzun, Billom et Riom – les Clermontois sont beaucoup plus nombreux que les Riomois à s’y présenter ([3]).

Au premier chef étaient visés par les mesures de sûreté les collaborateurs immédiats de l’évêque (official, syndic du clergé), à qui s’appliqua avec rigueur l’interdiction générale faite aux clercs de sortir de la ville sans en avoir préalablement demandé l’autorisation

Cette méfiance à l’égard du clergé n’était pas propre aux autorités municipales, mais traduisait un état d’esprit général de la population, qui avait obligé les édiles à faire afficher, à la fin du mois de mars 1589, des placards interdisant d’injurier les gens d’église ([4]). Le 4 avril, l’interception d’une lettre de Mauguin, syndic du clergé, adressée au comte de Randan fit décider la surveillance de systématique leurs correspondances par les capitaines des paroisses ([5]). Quelques jours après, c’est un sermon du chanoine Pierre Fournier, théologal de la cathédrale, qui était dénoncé comme ayant calomnié la ville en laissant croire qu’elle avait demandé l’aide du roi de Navarre et du vicomte de Turenne : il lui fut désormais interdit de prêcher ([6]), et, le 15, des bruits ayant laissé entendre qu’il n’avait pas l’intention de respecter cette interdiction, il était décidé de l’empêcher de prêcher « par tous les moyens possibles » ([7]). Le même jour, on interdisait aux ecclésiastiques de la ville de se rendre aux Etats que Randan avait convoqués à Billom ; ceux qui passeraient outre à cette interdiction se verraient interdire l’entrée de la ville jusqu’à nouvel ordre ([8]). Le 19 avril, les « crieries que le peuple faict de ce qu’on laisse sortir hors la ville les gentz d’esglize que vont et viennent partout » provoquent une généralisation de cette interdiction : les gens d’église ne pourront plus sortir de la ville, que ce soit pour aller voir Randan, le gouverneur, ou l’évêque, pour se rendre aux assemblées du clergé qui seraient convoquées, ni écrire à des correspondants extérieurs ([9]).

Un peu plus tard, le 7 juillet, une liste des suspects fut établie ([10]), et tous les gens d’église y furent portés ([11]) ; ils étaient désormais consignés à leur domicile, ne pouvant en sortir que le temps nécessaire pour la messe ou l’office et contraints de payer un remplaçant pour participer à leur place à la garde de la ville ([12]). Leurs maisons furent réquisitionnées en priorité pour loger les gens de guerre ([13]), et les armes qu’ils pouvaient détenir furent réquisitionnées ([14]) ; ils furent en outre soumis à un emprunt forcé de 10 000 écus ([15]).

Ces interdictions furent renouvelées périodiquement, parfois renforcées, comme par exemple en février 1592, où l’on rappelle aux prêtres l’obligation de prendre un passeport auprès des consuls pour toute sortie de la ville (y compris les religieux des ordres mendiants pour aller quêter), et où l’on interdit l’accès de la ville à tous les prêtres et religieux étrangers ([16]).

Ces mesures semblent avoir suffi à contraindre le clergé de Clermont à se réfugier, à partir de 1591, dans la neutralité et à s’abstenir de manifester ouvertement ses sentiments politiques. Seuls quelques chanoines de la cathédrale continuèrent à se signaler par l’entretien de correspondances avec des gens du « parti contraire » extérieurs à la ville.

Mais les gens d’église n’en restaient pas moins l’objet d’une surveillance particulière : en novembre 1592, une fouille était prescrite dans les églises et couvent pour la recherche de suspects ([17]) ; et les propos des prédicateurs étaient l’objet d’une surveillance attentive : le 20 avril 1593, il est ainsi décidé de rappeler à l’ordre le prédicateur de Carême (pourtant recruté par le conseil de la ville), qui aurait tenu à l’égard du roi des propos critiques et séditieux ([18]).

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[1]  Quoi que semble en penser Edouard Everat, qui, évoquant l’antagonisme entre les deux ville, brosse le portrait d’un Riom fervent catholique (Histoire abrégée de la ville de Riom depuis ses origines jusqu’à nos jours, Riom, 1923, p. 109).

[2]  3 E 500/228, f° 54 v° et 162 v°.

[3]  53 riomois contre 77 clermontois (d’après le registre d’ordinations de la Bibliothèque diocésaine, A 20.0080.

[4]  3 E 500/228, f° 64 v°.

[5] 3 E 500/228, f° 68 v°.

[6]  3 E 500/228, f° 71 r°.

[7]  3 E 500/228, f° 74 v°.

[8]  3 E 500/228, f° 76 r°.

[9]  3 E 500/228, f° 82 r°.

[10]  3 E 500/228, f° 146 r°.

[11]  Décision du 15 juillet (3 E 500/228, f° 154 r°).

[12]  Décision du 18 juillet (3 E 500/228, f° 160 v°)

[13]  Ainsi en février 1591, quand le comte de Clermont et Montmorency arrivent à Clermont (3 E 500/229, f° 159 r°

[14]  Ordre de désarmement des ecclésiastiques, 21 juillet 1589 (3 E 500/228, f° 160 v°), renouvelé le 21 février 1592 (3 E 500/231, f° 46 r°)

[15]  3 E 500/228, f° 136  v°.

[16]  3 E 500/231, f° 41 v°.

[17]  3 E 500/231, f° 149 r°.

[18]  3 E 500/232, f° 30 r°.

L’exil de l’évêque

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Dans ce contexte, on comprend aisément que François de La Rochefoucauld se soit tenu prudemment à distance de la ville.

Dès les premiers jours de l’affrontement, il avait d’ailleurs entrepris d’en évacuer une partie au moins des meubles de l’évêché : la ville s’en était émue le 15 avril 1589 en voyant qu’après avoir fait enlever les tapisseries et meubles de la maison épiscopale, il entreprenait de faire aussi emporter les terrier et lièves de la seigneurie épiscopale ([1]), et décida de les saisir en gage jusqu’à ce que les collégiens de Clermont qui étaient restés bloqués à Billom, où l’on soupçonnait l’évêque de vouloir les retenir en otages, aient pu réintégrer le domicile familial ([2]). L’évêché étant donc inoccupé, la ville s’en empara en 1591 pour y loger Charles de Valois-Angoulême, qui venait à Clermont à la fois comme comte de Clermont et d’Auvergne et comme gouverneur de la province pour prendre la tête des forces du parti loyaliste ; il était resté si peu de meubles que la ville dut y faire transporter en février 1593 ceux de la succession de l’ancien évêque, Antoine de Saint-Nectaire qui étaient restés en dépôt, depuis sa mort en 1584, chez l’élu de Fretat ([3]).

 

A partir du début de 1589, l’évêque ne vient plus à Clermont, et partage son temps en Mauzun, Billom et Riom, qui sont les places fortes du parti ligueur ; c’est de ces trois localités que sont datés tous les actes de son administration épiscopale entre le 18 février 1589 et le 2 juin 1597 ; c’est là qu’il procède aux ordinations et réunit son clergé. Pendant toute cette période, il ne vint pas une seul fois à Clermont ([4]). L’accès de la ville lui était devenu pour longtemps impossible après le discours véhément qu’il avait tenu le 20 avril 1589 à l’ouverture des Etats provinciaux convoqués par son frère à Billom ([5]). Ce n’est que le 10 février 1598 que sa présence à Clermont est à nouveau brièvement attestée, pour présider une réunion des députés du clergé ([6]) ; il y apparaît encore épisodiquement en mars et juillet 1598, en avril 1599, mais sa demeure habituelle est désormais Billom, et jusqu’à la fin de son épiscopat il y résidera bien plus souvent qu’à Clermont.

L’administration épiscopale suivit bien évidemment son chef dans cet exil. Elle était d’ailleurs réduite à sa plus simple expression. Le vicaire général, Etienne Mauguin, était encore à Clermont lorsqu’il mourut, peu avant le 17 avril 1589, date à laquelle le chancelier de l’évêché, Petit, qui était de retour, après avoir été exceptionnellement autorisé à sortir de la ville pour aller annoncer la nouvelle à l’évêque, fut expulsé ([7]).

François de La Rochefoucauld n’éprouva pas le besoin de nommer un nouveau vicaire général : son intention était bien de rester dans son diocèse, de le gouverner et de l’administrer lui-même. Et il le fit seul jusqu’au printemps de 1591. Il faut dire que sa tâche était, en quelque sorte, facilitée par l’insécurité que faisaient régner dans tout le diocèse la présence des soldats des deux camps, qui rendait tout voyage périlleux, tant était grand le risque de se faire prendre comme otage et rançonner ; frère du chef de la Ligue, l’évêque ne pouvait prendre ce risque. Il ne fit donc aucune visite des paroisses de son diocèse avant le début de novembre 1598 : il était alors en tournée à Mauriac, Saint-Chamans, Salers et Riom-ès-Montagnes, où, en cours de visite, il tonsura une dizaine de jeunes gens ([8]).

Si donc, le 7 mars 1591, il nomma un nouveau vicaire général en la personne de son frère, Alexandre de La Rochefoucauld, prieur de Saint-Pourçain ([9]), les traces de l’activité de celui-ci comme substitut de son frère sont rares, et se limitent à quatre actes, passés à Mauzun les 31 mai et 5 juin 1591 ([10]) et à Billom les 17 et 18 juillet 1597 ([11]). Il faut en fait attendre le 1er mai 1599 pour que soit nommé en la personne de Noël Mallias un autre vicaire général ([12]), qui allait effectivement remplacer l’évêque et tenir seul les rênes du diocèse pendant les mois de mai et de juin, où François de La Rochefoucauld séjourna à Paris puis dans son abbaye de Tournus.

A la fin de la première année de son exil, François de La Rochefoucauld avait évacué de Clermont le greffe des insinuations ecclésiastique, et l’avait installé à Billom, au plus tard à la fin du mois de décembre 1589 ([13]). Il ne nous a, jusqu’à présent, pas été possible de déterminer la date de son retour à Clermont.

Le fonctionnement de l’officialité pendant cette période n’a pas laissé beaucoup de traces. L’official, Jean Cistel de La Garde, docteur en droits, chanoine de la cathédrale, était encore relativement jeune, puisqu’il n’avait pas encore fini de se faire promouvoir dans les ordres, et n’accéda à la prêtrise que le 14 mars 1592 ([14]) ; le fait qu’il n’apparaisse pas parmi les chanoines de la cathédrale à l’encontre desquels les consuls de Clermont furent amenés à prendre des mesures coercitives ou des sanctions nous fait supposer qu’il n’y résidait pas pendant cette période ([15]). Au demeurant, les prisons de l’officialité furent utilisées, au moins pendant un temps, pour détenir les habitants des environs qui refusaient de payer les impôts aux gens de guerre commis à leur recette ([16]).

 

L’accès à Clermont lui étant interdit, l’évêque ne pouvait pas y rassembler son clergé en synodes, et les archives n’en font pas mention pour cette période : les prêtres se trouvèrent donc isolés pendant de longues années dans leurs paroisses, sans directives de leur évêque, pourtant présent dans le diocèse, mais qui ne pouvait ni les réunir, ni les visiter dans leurs paroisses.

 

[1]  3 E 500/228, f° 74 v°

[2]  3 E 500/229, f° 77 v°.

[3]  3 E 500/232, f° 52 v°.

[4]  2 G 16, pièce 23 : ce procès-verbal d’assemblée du clergé porte une date surchargée par une main contemporaine qui ne peut se lire que comme 1598 (et non pas 1594 comme écrit initialement, ni 1593, comme porté au dos), puisque le syndic du clergé est alors Gilbert Froment, qui n’a été nommé à cette fonction que le 26 juillet 1594 (2 G 19, f° 4 v°).

[5]  André IMBERDIS, Histoire des guerres religieuses en Auvergne pendant les XVIe et XVIIe siècles, Riom, 1848 ; reprint, Marseille, Laffitte reprints, 1983, p. 345 et suivantes.

[6]  2 G 19, f° 53 r°.

[7]  3 E 500/228, f° 77 r° – v°.

[8]  Mauriac le 4 novembre (1 G 1289 f° 157 v° ; 1 G 1292 f° 333 r° ; 1 G 1294 f° 73 v° ; 1 G 1295 f° 154 r°, 256 r° ; 1 G 1299 f° 220 v°, 266 r° ; 1 G 1301 f° 89 r°), Saint-Chamans le 6 (1 G 1297 f° 87 v°), Salers le 6 (1 G 1293 f° 165 r°), et Riom-ès-Montagnes le 7 (1 G 1290 f° 145 v°).

[9]  1 G 1284, f° 118 v°.

[10]  1 G 1284, f° 127 v°, et 1 G 1289, f° 143 r°.

[11]  1 G 1286, f° 42 v° et 233 v°.

[12]  1 G 1286, f° 311 v° ; natif de la paroisse d’Escoutoux, il était alors chanoine de St-Cerneuf de Billom.

[13]  1 G 1284, inscription liminaire du registre ouvert le 29 décembre 1589 ; le précédent registre conservé (1 G 1283) avait été clos le 29 décembre 1587.

[14]  Bibliothèque du séminaire, A 20.0080, f° 22 r° (acolyte, le 19 décembre 1587), 28 r° (sous-diacre, le 18 mars 1589), 49 v° (diacre, le 22 février 1592) et 54 r°.

[15]  Nous verrons plus loin qu’il résidait en 1594 au prieuré de Moissat, dont il revendiquait la possession contre deux compétiteurs au moins.

[16]  3 E 500/232, f° 238 v° (novembre 1593).

Fac-similé d'un placard politique, gravure de " Henry IV et Louis XIII", 1887, p 41
Fac-similé d'un placard politique, gravure de " Henry IV et Louis XIII", 1887, p 41

II  La désorganisation du diocèse dans ses membres

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Perturbations du système de collation des bénéfices

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La vie locale de l’église, dans ses paroisses, ne pouvait pas ne pas être affectée par l’anarchie dans laquelle vivait le pays entre les flambées de violence qui accompagnaient les opérations militaires. L’effet le plus manifeste en était la vacance durable de nombreuses cures, soulignée par les contemporains : « il y a plusieurs cures et la plus grande partie d’icelles sont sans presbtre ne revenu a l’occasion des ruynes et guerres qui ont esté cy devant » déclare l’un des députés du clergé lors de leur réunion de juillet 1598 ([1]). Ces vacances pouvaient certes survenir en plus grand nombre que dans les périodes de paix, du fait notamment de la multiplication des maladies contagieuses, mais, les prêtres sans emploi étant fort nombreux, le système de provision des cures aurait dû permettre de combler les trous ; or force est de constater que cela ne marchait pas.

Et, de fait, les registres d’insinuations ecclésiastiques font apparaître un ralentissement du rythme de renouvellement des titulaires de bénéfices. Pour s’en tenir aux cures, le nombre des changements de titulaires qui était de 577 entre 1555 et 1560 (soit 96 par an), tombe à 59 pour l’ensemble de la période 1589-1594 (soit 10 par an). Et l’on comprend bien que, dans une période d’insécurité générale, de crise économique et d’anarchie fiscale, l’on aie hésité à permuter des bénéfices, surtout des cures qui requièrent de résider sur place pour assurer la charge des âmes. Mais cela traduit aussi une difficulté plus grande à pourvoir les cures devenues vacantes par décès.

L’allongement de la durée de vacance des cures se devine dans l’augmentation de la proportion des collations apostoliques par dévolut : lorsqu’un bénéfice est vacant depuis trop longtemps – par défaut de présentation par le patron et/ou de collation par l’ordinaire – un candidat peut demander directement au pape de l’en pourvoir ; ces collations apostoliques par dévolut qui, entre 1555 et 1572 représentaient autour de 8 % de l’ensemble des collations, en représentent entre 1589 et 1594 près de 22 %. Sont ainsi pourvues en 1590 la cure de Saint-Martin-des-Alloches ([2]), en 1591 celles de Chavaroux, Brenat et Marsat ([3]), en 1592 celle de La Chaume ([4]).

 

 

Collation par l’ordinaire Collation apostolique sur résignation Collation apostolique par dévolut Total
1555-1560 281

48,70 %

228

39,51 %

54

9,35 %

577
1561-1566 119

40,89 %

144

49,48 %

25

8,59 %

291
1567-1572 105

49,06 %

92

42,99 %

16

7,47 %

214
1584-1594 37

45,76 %

19

32,20 %

13

21,92 %

59
1595-1600 68

53,54 %

36

28,34 %

23

18,11 %

127

 

Mode de collation des cures du diocèse de Clermont entre 1555 et 1600

 

 

L’autre motif pour recourir à la collation pontificale était « l’indue détention », soit par suite d’un vice de forme dans la procédure de collation, soit par suite de l’incapacité du détenteur : sont ainsi pourvues en 1589 la cure d’Escoutoux ([5]), en 1590 celles de Saint-Amant-Tallende et Auzat-sur-Allier ([6]), en 1591 celle de Neschers ([7]), en 1592 celle de Madriat ([8]). Le cas de Saint-Amant-Tallende est particulièrement intéressant, puisque son détenteur en est privé pour avoir porté les armes contre les défenseurs de la foi catholique (entendez les Ligueurs) et pour n’avoir pas été promu à la prêtrise dans le délai canonique.

Une autre tendance est la baisse de la fréquence des résignations en cours de Rome, cette procédure par laquelle le titulaire d’un bénéfice pouvait désigner son successeur, en s’en démettant entre les mains du pape : si plus de 40 % des provisions de cures se faisaient ainsi entre 1554 et 1575, cette procédure ne concerne même plus 20 % d’entre elles entre 1589 et 1600. Il ne semble pas qu’il faille, pour expliquer cette évolution, invoquer l’éloignement et l’insécurité des routes, puisque cette résignation pouvait se faire entre les mains du légat pontifical, et nous en avons de nombreux exemples. Une explication pourrait peut-être être cherchée du côté d’une poussée du sentiment gallican à la faveur d’une guerre civile dans laquelle les papes n’étaient pas restés neutres.

 

L’évêque pouvait lui aussi intervenir pour les mêmes motifs dans le processus de collation, et François de La Rochefoucauld ne s’en est pas privé.

Le 25 avril 1591, considérant que le détenteur de la cure de Neschers, Etienne Jean, soutenait le parti de Henri de Bourbon, roi de Navarre (sic), et résidait à Clermont et non pas dans sa cure, il la conféra à Etienne Bion ; ce qui n’est pas dit dans l’acte, c’est qu’Etienne Jean était chanoine de la cathédrale, ce qui justifiait sa résidence à Clermont et le dispensait, en vertu des anciens accords passés entre le chapitre et l’évêque ([9]), de résider dans sa cure, qu’il faisait desservir par un vicaire qu’il rémunérait ; ce dernier fit d’ailleurs opposition à la prise de possession d’Etienne Bion, le 9 novembre suivant ([10]).

Le 15 juin 1592, c’est Honoré Guérin, chanoine de Billom, qui est privé de son bénéfice : lui aussi réside à Clermont où il soutient le parti de ceux que François de La Rochefoucauld désigne comme « hérétiques » ; l’évêque précise qu’il agit en application d’une bulle de Grégoire XIV ([11]).

 

Une approche un peu moins pointilliste de l’étendue des perturbations peut être tentée à partir des comptes des décimes, cet impôts levé par le roi sur les revenus des bénéfices ecclésiastiques ([12]).

Lorsqu’en 1594 on entreprend de vérifier de vérifier les comptes de leur receveur, l42 bénéficiers (sur un totale de 1171 bénéficiers inscrits aux rôles) dont 84 curés (sur un total de 715) n’ont pas encore payé leur dû pour l’année 1587 ; pour l’année 1588, ils sont 262, dont 160 curés ; pour 1590, leur nombre monte à 609 dont 391 curés. Les mentions des raisons retenues pour faire admettre leurs cotes en non-valeurs ne sont pas absolument explicites, mais laissent bien entendre que la vacance des bénéfices en cause est le principal motif de non paiement.

 

Une autre conséquence de la longue vacance des cures, en un temps où le salut des âmes était l’une des principales préoccupations, fut d’amener certains paroissiens, laissés à l’abandon, à se procurer eux-mêmes un prêtre pour les desservir. Certes, dans bien des paroisses une telle situation trouvait, pour ainsi dire naturellement, sa solution dans la présence sur place d’un nombre plus ou moins important de prêtres, organisés en communautés pour la desserte des fondations particulières, et qui durent, sans que cela laisse de traces dans les archives, assurer aussi le service paroissial, puisqu’aussi bien ils leur arrivait de le faire dans les périodes non troublées ([13]).  Mais là où il n’y avait pas de prêtres résidents, ou quand les prêtres locaux ne faisaient pas l’affaire,  l’on n’hésita pas à aller chercher plus loin.

Lorsqu’en avril 1587, Jean Roddes, qui vient d’être pourvu de la cure de Saint-Laure, vient pour prendre possession, il est mis en possession par un prêtre de Thiers qui assurait depuis quelques temps la desserte de la cure « par commandement des consulz et luminiers de lad. parroice, comme n’ayant autre pour leur administrer les sainctz sacrementz » ([14]).

Le plus souvent, ces prêtres exerçaient ces fonctions comme « vicaires », recrutés par les habitants. Parmi plusieurs autres, l’exemple de la paroisse de Marsac-en-Livradois est éclairant. En 1596, « par l’imbecillité, longue maladie et paralisie fortuitement venue a messire Antoine Bonnefoy, leur curé », situation qui l’a mis dans l’incapacité de recruter lui-même un vicaire pour l’assister ou le remplacer, ce sont les paroissiens qui, face à ce cas de force majeure, ont recruté son neveu, Antoine Delestra, pour faire par intérim « toute function de vray et legitime pasteur » ([15]). En temps normal, même si un arrangement aurait pu être passé directement entre les paroissiens et ce prêtre, il aurait été en quelque sorte homologué par un acte de l’évêque qui l’aurait commis dans l’exercice des fonctions curiales.

Le cas de Valcivières, dont la cure vint à vaquer en 1587, est encore différent. Le 15 février « (…) jour de dimanche, a la requisition des marguilliers de la parroice de Vaussiviere nommez Claude Chambon, Jehan Expisse, et aultres principaulx habitantz en lad. parroice et bourg, pardevant les notaires soubzsignés, c’est presenté au devant la grand porte de l’esglise parroissiale dud Vaussiviere venerable personne messire Pierre Granier, presbtre, accompaigné de messire Jehan Ballay, aussi presbtre, ou se sont presantez la plus grand partie des gens de lad. parroice (…), lesquelz ensemblement ont remonstré aud. messire Pierre Granier qu’il falloict qu’il fut leur curé, et leur feroict bien plaisir, disant qu’il y avoict longtemps et despuis le decedz et trespas de feu messire Blaize Chadebostz leur curé, que a quatre ou cinq moys qu’est decedé on n’y auroict poinct faict aulcun service a l’esglise, dict ne celebré aulcunes messes, et n’y auroict poinct aulcun presbtre pour leur celebrer messe, et que par led. decedz dud. Chadebost, curé, lad. cure estoict vaccante ; a ceste cause ont pryé generallement led. messire Pierre Graniere de leur vouloir administrer les sainctz sacrementz, dire et celebrer messe, et soy emparer et prendre lad. cure comme vaccante ; ce que led. messire Pierre Granier, a leur requisition, c’est emparé et prins possession et saisine de lad. cure comme vaccante comme dict est ; lequeldit Grenier iceulxdicts parroissiens et marguilhiers ont constitué leur curé general pour joir des fruictz, proffictz, revenuz et esmoluments, deppendances et circonstances provenantz de lad. cure dud. Vaulciviere, droictz et debvoirs par led. curé Grenier prendre, percepvoir, et d’iceulx en joir paisiblement, tout ainsi et de mesme que les autres cures et mesmes led. Chadebost dernier possesseur d’icelle avoict accoustumé faire, tenir et joir et posseder ; et neantmointz d’icelledite cure lesd. marguilliers et parroissiens dud. Vaulciviere, en la presance des ampres nommez, ont mis en possession led. messire Pierre Granier, nommé, esleu et constitué leur curé ; ce qu’il a accepté comme dict est, entré dans l’esglise, prins de l’eaue beneicte, sonné la cloche, ouvert le cœur d’icelle, monté au grand authel, auquel lieu a celebré messe, c’est saisy des ornementz d’icelle, lesquelz lesd. marguilliers luy ont bailhé (…) » ([16]).

C’est donc bien à la demande expresse de la communauté des habitants que Pierre Grenier jette littéralement son dévolu sur cette cure, en prend possession et en fait dresser un acte authentique ; puis il envoie une requête à Rome, et le 20 août 1587 le pape lui accorde une bulle de collation de cette même cure ([17]). Cet épisode nous fait entrevoir que le dévolu n’est pas forcément jeté sur un bénéfice par un individu agissant isolément et dans son seul intérêt personnel, mais peut constituer pour les premiers intéressés, les paroissiens laissés à l’abandon, une voie de recours dans des circonstances sortant de l’ordinaire.

 

Dès lors que l’on voit une paroisse pourvoir elle-même au recrutement de son curé, faut-il s’étonner d’en voir d’autres contrôler, ou au moins essayer de contrôler la façon dont le curé qui leur a été donné s’acquitte de ses fonctions ?

En août 1595, les habitants de Saint-Amant-Roche-Savine et leurs luminiers s’adressent à l’évêque pour qu’il annule la collation qu’il vient de faire de leur cure à Claude Duranton, qu’ils décrivent comme un homme de mauvaise vie qui, « pendant les troubles », a fréquenté les gens de guerre, allant même jusqu’à porter les armes ; ils demandent, et obtiennent, le maintien de leur précédent curé, Michel Sallon ([18]).

A Escoutoux, en février 1590, ce contrôle du curé par les paroissiens prend une autre forme : lorsque Jean Deleyre vient prendre possession de la cure, ses nouveaux paroissiens, par la voix de leurs luminiers, exigent et obtiennent de lui le serment de ne pas résigner sa cure sans « le seu et consantement et approbation du nombre de douze habitans signallez et quallifiez d’icelle paroisse » : leur nouveau curé semble leur convenir, mais ils prennent des assurances pour que la faculté de résigner, dont jouit tout bénéficier, leur permette de contrôler le choix de son successeur ([19]).

Pour peu nombreux qu’ils soient, les cas que nous venons d’évoquer sont révélateurs de la nature des liens qui existent, à la fin du XVIe siècle, entre un curé de campagne auvergnat et ses paroissiens : loin d’être leur chef, il est à leur service, sous leur contrôle, et leur obéissance ne lui est acquise que pour autant qu’il assume ses fonctions à leur satisfaction.

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[1]  2 G 19, f° 57 r°.

[2]  1 G 1284, f° 129 v°.

[3]  1 G 1284, f° 113 r°, 171 r°, 138 v°.

[4]  1 G 1284, f° 177 r°.

[5]  1 G 1284, f° 41 v°).

[6]  1 G 1284, f° 64 v°, 92 r°.

[7]  1 G 1284, f° 162 r°.

[8]  1 G 1284, f° 168 r°

[9]  Voir Anne-Marie CHAGNY,

[10]  1 G 1284, f° 139 v°.

[11]  1 G 1284, f° 180 r°.

[12]  2 G 590.

[13]  Voir Stéphane GOMIS, Les « enfants prêtres » des paroisses d’Auvergne. XVIe-XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2006, p. 246-249

[14]  1 G 1281, f° 324 r°.

[15]  1 G 1285, f° 275 v°.

[16]  1 G 1283, f° 166 v° – 167 r°

[17] 1 G 1283, f° 166 v°.

[18]  1 G 1285, f° 212 v°.

[19]  1 G 1284, f° 42 r°.

Perturbation des prises de possession

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Les « volleries et emprisonnement de personnes qui se font ordinerement en ceste province d’Auvergne » ([1]), du fait de la présence de troupes des deux camps qui, lorsqu’elles n’étaient pas en campagne, mal payées ou pas payées, se payaient elles mêmes en pillant les habitants et en rançonnant les voyageurs, aller prendre possession d’un bénéfice était parfois une entreprise périlleuse.

La prise de possession devait se dérouler dans l’église même où s’exerçaient les fonctions liées au bénéfice ; elle comportait un ensemble de gestes symboliques ou d’actes liturgiques dont le procès-verbal devait être établi de façon authentique ; sans elle, le nouveau titulaire ne pouvait ni exercer les fonctions de son bénéfice, ni bien évidemment en percevoir les revenus.

 

Le motif qui vint le plus fréquemment faire obstacle au déroulement normal des prises de possession résidait dans les flambées de maladies contagieuses, escorte habituelle des troupes qui vivent sur le pays ; elles provoquent la mise en quarantaine les bourgs ou villages où elles sévissent, et dissuadent les étrangers d’y pénétrer. Il est alors admis que la prise de possession se fasse de loin, par la vue du clocher de l’église, en présence de témoins dont le rôle est alors d’attester que le clocher que l’on voit est bien celui de l’église où s’exercent les fonctions du bénéfice.. C’est ainsi que se déroulent en 1587 les prises de possession de la cure de Beaulieu (Cantal) et du prieuré de Saint-Diéry, en 1588 celles des cures de Saint-Dier et de Saint-Rémy-de-Blot, pour ne citer que ces exemples ([2]).

A partir de 1589, c’est la présence des gens de guerre qui fait le plus souvent obstacle au déroulement normal de la cérémonie, sans qu’il s’agisse toujours de soldats recrutés par le « parti contraire », soit qu’ils occupent effectivement le bourg où l’on doit se rendre, soit simplement que l’on craigne de se lancer sur les routes, au risque d’être dépouillé de ses biens, pris en otage et rançonné.

Ainsi en mai 1591, pour la prise de possession du prieuré de Cunlhat, aucun notaire ne réside plus sur place, et ceux des paroisses voisines refusent de s’y rendre, « actandu mesme que led. lieu de Cunlhat tient le party du Roy (…) et que les autres lieux circonvoizins (…) tiennent le party contraire » ; un notaire d’Ambert accepte finalement de s’y rendre, sur la promesse qu’il sera indemnisé des dommages  qui lui surviendraient du fait des gens de guerre. Arrivé sur place, le procureur du nouveau prieur, le vénitien Camillo de Croce, ne peut pénétrer dans le prieuré qui est barricadé par des palissades sur lesquelles des hommes en armes montent la garde, et, en l’absence de leur seigneur, le sieur de La Fin qui est parti en Languedoc pour assister au mariage du comte de Clermont, ne laissent personne y pénétrer ([3]).

En avril 1596, le prieuré de Briffons était lui aussi rendu inabordable par des barricades tenues par des hommes en armes menaçants ([4]). En juin 1597, sans qu’il y ait de danger immédiat, ce sont les habitants de Solignat qui tiennent fermées les portes du fort de leur village, et refusent de les ouvrir en raison du « bruit de guerre », empêchant ainsi leur nouveau curé de prendre possession ([5]).

 

L’omniprésence des hommes d’armes, et l’impunité qui en résultait, pouvait être mise à profit par certains  pour empêcher par la force la prise de possession d’un rival ou d’un candidat dont on ne voulait pas.

En 1594, les deux candidats au prieuré de Moissat, pourvus l’un par l’abbé de St-Lomer de Blois dont dépendait le prieuré, l’autre par le pape, renoncèrent chacun à son tour à prendre possession sur place, dissuadés d’en approcher par la présence de gens en armes qui tenaient le parti de la Ligue, sous les ordres de Jean Cistel de La Garde, chanoine de la cathédrale, qui se disait lui aussi prieur du lieu : le premier prit possession depuis le territoire de Lezoux, sur la route de Billom ([6]), et le second devant le grand portail de l’église Notre-Dame de Vertaizon, d’où l’on voyait clairement le château et le clocher de Moissat ([7]).

A Bourg-Lastic, un religieux qui se disait prieur du lieu, avait réussi à se gagner le soutien des habitants et gentilshommes du lieu qui, le 30 juillet 1597, prirent les armes quand Pierre Charrier, moine de La Chaise-Dieu, pourvu en cour de Rome, voulut venir prendre possession : il dut se contenter de la faire par la vue du clocher, depuis le pied de la montagne de Préchonnet ([8]).

En novembre 1590, Pierre Astier est empêché de prendre possession de la cure de Jumeaux, dont il a été pourvu par le pape sur résignation de Noël Terrasse : « le sieur de Parentignat qui a maison dans le bourg et villaige dud. Aulzat, y faisant sa residance actuelle et tout aupres de l’esglize parrochialle dud. lieu, icellui sieur de Parentignat luy porte inhimitié mortelle a cause qu’il a esté pourvue de lad. cure, et que a ceste occazion il auroit faict desmollir et tumber en ruyne despuis sad. provizion la maison et domicille appartenant a lad. cure ; de plus led. messire Pierre Astier a esté adverty que led. sieur de Parentignat le menasse de tuer et de luy faire perdre la vye s’il le treuve dans led. lieu d’Aulzat et ailheurs a ses raisons, n’ayans moyen de resister a la furye dud. sieur de Parentignat qu’est homme guerrier » ; en conséquence il prend possession à distance respectueuse, par la vue du clocher depuis le chemin de Jumeaux à Esteil ([9]).

 

Les raisons pour lesquelles, en janvier 1594, Bernard Poncillon n’ose pas aller prendre possession du prieuré de Neuville sont encore différentes : là, ce sont les habitants et paysans du lieu qui se sont emparés de tous les biens et revenus du prieuré, ainsi que des titres et des archives ([10]).

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[1]  1 G 1285, f° 78 r° (13 août 1594).

[2]  Beaulieu, 29 septembre 1587 (1 G 1283, f° 22 r°) ; Saint-Diéry, 20 novembre 1587 (ibidem, f° 99 r°) ; Saint-Dier, 26 avril 1588 (ibidem, f° 177 v°) ; Saint-Rémy-de-Blot, 16 octobre 1586 (ibidem, f° 275 r°).

[3]  1 G 1284, f° 117 r° – 118 v°.

[4]  1 G 1285, f° 234 r°.

[5]  1 G 1286, f° 31 v°.

[6]  1 G 1285, f° 78 r°, 13 août 1594

[7]  1 G 1285, f° 82 v°, 1er septembre 1594.

[8]  1 G 1286, f° 42 r° – 43 v°.

[9]  1 G 1284, f° 75 r°.

[10]  1 G 1285, f° 48 r°.

Village pillé par des soldats, d'après une gravure sur bois XVIe, Fac-similé d'un placard politique, gravure de " Henry IV et Louis XIII", 1887, p 53
Village pillé par des soldats, d'après une gravure sur bois XVIe, Fac-similé d'un placard politique, gravure de " Henry IV et Louis XIII", 1887, p 53

Epilogue : l’amorce du retour à l’ordre

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Nous ne savons pas comment se fit le retour à l’ordre et comment François de La Rochefoucauld reprit en main son diocèse. Les archives de l’évêché, pourtant abondantes, ne conservent quasiment aucun dossier de la période des guerres de religion et des années qui suivirent : elles avaient été transférées hors de Clermont, comme nous l’avons vu, et, jusqu’à son départ du diocèse en 1609, il résida à Mauzun et Billom : les archives de son épiscopat y sont vraisemblablement restées, y ont été oubliées et finalement détruites.

 

Seules les archives de la chambre ecclésiastique du diocèse nous donnent quelques indications sur les années 1594-1598. C’est au sein de cette institution que de faisait, par le clergé lui-même,  la répartition des décimes, impôt prélevé par le roi sur les revenus des bénéfices ecclésiastiques, et qu’était contrôlée leur perception. Les rôles de répartition de la somme imposée sur le diocèse étaient préparés par un nombre réduit de délégués, qui étaient aussi chargés de la vérification détaillée des comptes, et le tout était soumis à une assemblée générale annuelle, où siégeaient les abbés et prieurs et les délégués des collégiales ; entre les réunions des délégués, une sorte de permanence était assurée par un syndic du clergé. Ces mêmes assemblées élisaient aussi, le cas échéant, les représentants du diocèse aux synodes provinciaux.

Il ne subsiste pas de registre de procès-verbaux de ces réunions et assemblées pour les années 1589 à 1594. Le 26 juillet 1594 semble marquer la reprise d’un fonctionnement à peu près régulier de l’institution : à Billom, une petite vingtaines d’abbés, prieurs ou chapitres sont présents – mais il manque encore à l’appel 12 abbés, 9 prieurs et 18 chapitres ([1]) ; il faut attendre juillet 1599 pour voir à nouveau une assemblée où le nombre des présents excède de façon significative celui des absents ([2]).

Regroupant des gens qui, au cours des années précédentes, avaient pris parti dans l’un et l’autre camp, les réunions suivantes de l’année 1594 souffrent encore d’un fort absentéisme ; mais c’est désormais à Clermont, où sont les dossiers indispensables à son travail, qu’elles se tiennent, même si les collaborateurs de l’évêque, qui résident encore avec lui à Billom, prétextent les dangers du voyage pour ne pas y assister ([3]) : l’official, Pierre Croux, écrit le 8 septembre 1594 qu’il a été « adverty par aulcuns mes amys que je suis gueté par ce voyage expressement par des ennemys », mais que l’on peut se passer de lui « n’y ayant grand apparence que l’absence d’ung pauvre petit prestre comme moy puisse retarder affaires de telle consequence » ([4]).

Les travaux débutent le 24 juillet par des mesures destinées à remettre l’institution en ordre de marche. On commence par désigner comme syndic Gilbert Froment, chanoine de la cathédrale, pour remplacer Robert Cherpentier qui n’avait été désigné que par intérim (« seulement a cause des troubles, par provision ») ([5]). Puis l’on convoque les différents receveurs pour qu’ils présentent leurs comptes devant l’évêque et les députés du clergé ; au cours de la même réunion, constatant que les rôles de l’année en cours, bien qu’elle soit déjà fort avancée, n’ont pas encore été dressés « a cause des troubles et guerres civiles advenues en ceste province », on charge les députés de les établir pour permettre la levée du quartier d’octobre (la perception se faisait en quatre fois) ([6]). A la réunion suivante, le 5 septembre, constatant qu’il est impossible de procéder à la vérification des comptes à Billom, dans la mesure où les comptables ont besoin d’avoir sous la main leurs archives (les pièces justificatives de leurs comptes) qu’il n’est pas question, vu l’insécurité des routes, de sortir de leur « comptoir » à Clermont pour les emporter à Billom, il est décidé que cette vérification se fera à Clermont, mais en l’absence de l’évêque qui a déclaré « n’y pouvoir de sa part adcister pour certaines considerations qu’il c’est reservé riere luy » ([7]). Le premier compte dont on entreprend la vérification est un compte de l’année 1584, dont on constate d’ailleurs très vite qu’il a déjà été vérifié en 1588 ([8]) ; l’on décide aussi de convoquer pour vérifier leurs comptes les nommés Thomas et Thial, « soit dizants recepveurs desd. decimes », qui ont procédé à la levée des décimes pour le compte de la Ligue ([9]), puisque chaque camp, pour pouvoir payer les troupes qu’il avait levées ou enrôlées, s’était mêlé de procéder à la levée des décimes, comme il le faisait pour les tailles ; sollicités successivement par les deux camps, certains bénéficiers avaient été contraints de payer deux fois la même cote : il fut décidé, par mesure de pacification, que les sommes payées aux receveurs du parti de la Ligue leur seraient comptées comme avoir pour les quartiers à venir ([10]) ; les receveurs, qui continuaient la perception des impayés des années antérieures, reçurent l’ordre de considérer comme payées les sommes versées à l’un ou l’autre parti ([11]).

 

 

 

Le retour à la normale devait prendre de longues années. Il fut assurément amorcé par François de La Rochefoucauld, jusqu’à son départ pour l’évêché de Senlis en 1609, ainsi que l’attestent des actes comme la publication d’un rituel pour l’administration des sacrements ou l’union du prieuré de Moissat au collège de Billom ; et nous l’apercevons effectivement entreprendre quelques tournées de visite des paroisses ; mais la disparition des archives de son secrétariat, l’absence d’archives de l’officialité, obligeront, si l’on veut mesurer avec plus de précision ces efforts et leurs effets, à scruter attentivement les registres des insinuations ecclésiastiques de ces années, à lire entre les lignes de celles de la chambre ecclésiastique, à analyser avec précision le registre des ordinations, travail de longue haleine.

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[1]  2 G 19, f° 1 r°.

[2]  2 G 19, f° 63 v°.

[3] 2 G 19, f° 10 v°, réunion du 8 septembre 1594.

[4]  Ibidem, f° 13 r°-v°.

[5]  2 G 19, f° 4 v°.

[6]  Ibidem, f° 5 r°.

[7]  Ibidem, f° 6 v°

[8]  Ibidem, f° 9 r°, réunion des députés le 6 septembre.

[9]  Ibidem, f° 9 v°, même réunion.

[10]  Ibidem, f° 14 r°, réunion du 9 septembre : « (…) en faveur des beneficiers qui ont payé leur cocte aux deux partys, ad ce que justiffiant de leurs quictances, ilz demeurent quictes d’ung seul payement de leur cocte envers le receveur ordinaire dudict clergé, et que le surplus leur soict remplacé ou desduict sur l’advenir »

[11]  Ibidem, f° 15 r°.

Ce texte est celui d’une communication faite en 2011 à  l’Académie des Sciences et Belles Lettres de Clermont-Ferrand, et il a été publié dans sa revue le « Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne (BHSA)« .