Penture parlante d’Auzelles… et l’Eucharistie

En Auvergne, de nombreuses portes d’églises comportent des ferrures ouvragées, qui datent pour la plupart des XIe au XIVe siècles. Appelées pentures, ces ferrures représentent des têtes de dragons, des hommes tordus, des fleurs de lys…Celles d’Auzelles sont remarquables à plus d’un titre : le travail du fer n’a pas son égal.

Auzelles, église Saint-Blaise, pentures
Auzelles, église Saint-Blaise, pentures

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Six motifs cruciformes, trois par vantail, superposés et égaux entre eux, sont séparés par les vraies pentures droites et terminées par des lettres C, ornées de têtes. On y trouve aussi des fers à chevaux, fréquemment utilisés pour évoquer saint Martin, écuyer accompli. Au centre du panneau ci-contre, un oculus permettait de voir à l’extérieur de l’église.

église d'Auzelles, penture, détail oculus

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La porte de droite comporte un motif supérieur étrange

église d'Auzelles, penture motif supérieur

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On y reconnaît deux figures : un T, et un oiseau tenant un disque dans son bec.

T
église d'Auzelles, statue de saint Antoine
église d'Auzelles, statue de saint Antoine

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Le T évoque la dernière lettre de l’alphabet hébraïque, et on lui confère une valeur symbolique depuis l’Ancien Testament ; on en parle déjà dans le livre d’Ézéchiel :« L’Éternel lui dit : passe au milieu de la ville, au milieu de Jérusalem, et fais une marque sur le front des hommes qui soupirent et qui gémissent à cause de toutes les abominations qui s’y commettent. » (Ez 9, 4) : le Tau est le symbole qui, placé sur le front des pauvres d’Israël, les sauve de l’extermination. Il fut par la suite adopté par les tout premiers chrétiens pour un double motif :

1 En tant que dernière lettre de l’alphabet hébraïque, il incarnait la réalisation de la promesse contenue dans l’Apocalypse : je suis l’alpha et l’oméga.
2 Sa forme leur rappelait la croix, sur laquelle le Christ se sacrifia pour le salut du monde.

C’est devenu un des deux symboles de saint Antoine, avec le cochon : saint Antoine abbé, nommé aussi saint Antoine ermite, qui était le saint patron de l’ordre hospitalier des Antonins. Ce saint était particulièrement invoqué contre diverses maladies contagieuses ou épidémiques, comme l’ergotisme, également nommé  » mal des ardents  » ou  » feu saint Antoine « , maladie provenant de la consommation de seigle contaminé par un champignon parasite. Dans toutes les campagnes d’Auvergne se trouve une statue de ce grand saint. La statue est parfois environnée de flammes évoquant le « feu saint Antoine ».

Il tient généralement de sa main droite un bâton noueux ou ébranché en forme de T, symbole de vie et signe protecteur dès l’Antiquité, mais aussi allusion à la béquille sur laquelle s’appuyaient les victimes de l’ergotisme.

Le cochon, souvent bien sage, parfois plus original, rappelle que les antonins avaient le droit de laisser paître en liberté leurs cochons, qui portaient une clochette.

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Une statue de saint Antoine, conservée dans l’église d’Auzelles, rappelle le culte que les habitants vouaient à ce grand saint. (Il reste encore plus d’une centaine de statues de ce saint dans le diocèse!)

Statue de saint Antoine, église d'Artonne
église de Celles-sur-Durolle, statue de saint Antoine
église de Comps, statue de saint Antoine, avec le "feu Saint-Antoine" à ses pieds
église d'Olby, statue de saint Antoine
église de Saint-Dié d'Auvergne, statue de saint Antoine
église de Sauviat, statue de saint Antoine

L’oiseau et le disque

Auzelles, porte de l'église, penture1

L’histoire suivante va vous expliquer le pourquoi de cette représentation.

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Légende des saints Paul et Antoine, ermites

Dans les premiers temps de christianisme, les chrétiens étaient persécutés par l’empire romain. Un jeune homme de Thèbes, nommé Paul, préféra fuir, et se réfugia dans le désert de Thébaïde.
Il vécut longtemps, longtemps, protégé des bêtes sauvages, et aidé par Dieu, qui chaque jour lui envoyait sa nourriture : un corbeau lui apportait la moitié d’un pain, et sa vie s’écoula ainsi, dans la prière et la méditation.
Saint Antoine le grand avait lui aussi écouté l’appel du Seigneur : « si tu veux être parfait, vends tout ce que tu possèdes et suis-moi ». Il avait quitté son pays, et pensait être le premier à se trouver ainsi ermite au désert. Mais il entendit une voix lui dire : « j’ai un autre disciple, meilleur que toi, qui me suit depuis longtemps »
Saint Antoine décida alors de lui rendre visite, pour lui rendre hommage…son voyage fut long et périlleux, mais il finit par trouver un loup qui le guida jusqu’à la cellule de saint Paul.
Celui-ci refusa d’abord de le recevoir, arguant qu’il le distrayait de sa prière. Mais Antoine l’implora de le laisser entrer, affirmant qu’il mourrait sur place plutôt que de se retirer. Alors Paul l’accueillit dans son ermitage …Les deux saints s’entretinrent longtemps de Dieu, de la prière, et l’entente fut immédiate entre eux.

Le temps passait sans qu’ils s’en aperçurent, et ce fut l’heure du repas. Le corbeau apparut, comme à l’accoutumé, mais ce n’était plus un demi pain qu’il apportait, mais un pain entier.

Ce pain apporté par le corbeau aux deux grands saints ermites fut compris par les chrétiens qui priaient saint Antoine comme le symbole de l’Eucharistie : le pain descendu du Ciel, que le Père accorde à ses enfants, faisant écho à la demande du « Notre Père » …

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La penture d’Auzelles semble être la seule penture à devoir être interprétée comme un rébus : les figures font clairement allusion à saint Antoine, et au symbole de l’Eucharistie…mais,  si lors de leur installation, le rébus était parlant pour les habitants d’Auzelles (peut-être avec une explication du curé?), il est maintenant indispensable de le décrypter pour nos contemporains!

Bibliographie :

Vantaux d’églises, s.l., Centre de Recherches sur les Monuments Historiques, s.d., vol. B1 et B2 (les ferrures et pentures).
Cahn W., The Romanesque wooden Doors of Auvergne, New York, Archaeological Institute of America-College Art Association of America, 1974 (Monography, 30) ;
Delaine M.-N., Les pentures de portes médiévales dans le centre de la France, Clermont-Ferrand : Association des amis des universités de Clermont-Ferrand, Revue d’Auvergne, 88-2, 1974 ;
Bruno Phalip : Das kirchenportal im Mittelalter : Phalip 2019. Phalip B., « Le portail sud de l’église Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand (France); Le bois et le fer des montagnes face à la pierre de la plaine de Limagne », in Albrecht S., Breitling S., Drewello R. dir., Das kirchenportal im Mittelalter (Mittelalterliche Portale als Orte der Transformation), Michael Imhof Verlag, 2019, p. 230‑237. https://books.openedition.org/artehis/32611?lang=fr&format=reader