Quand Eugène Viollet-le-Duc intervient à la cathédrale de Clermont c’est un maître-restaurateur reconnu du patrimoine civil et religieux français (il est déjà intervenu à Vézelay, Notre-Dame de Paris, Carcassonne, Amiens, etc…). Il connaît l’Auvergne où, depuis son premier voyage avec son oncle Delécluze en 1831, il est venu plusieurs fois. Il est membre de la commission des arts et édifices religieux depuis 1848 et il a rédigé un rapport qui dénonçait l’état alarmant de la cathédrale. Depuis 1853 il est l’un des trois inspecteurs généraux des édifices diocésains.
Après plusieurs décennies de débats sur la réorganisation du chœur, rendue nécessaire par les destructions de la Révolution, c’est à lui qu’on demande en 1851 de dessiner le nouveau maître-autel puis les grilles qui entourent le chœur, le buffet d’orgue et le trône épiscopal. Il fait le choix révolutionnaire d’un mobilier en harmonie avec l’architecture d’un bâtiment gothique. En 1855, c’est la première fois qu’on réalise un maître-autel néogothique en utilisant le procédé moderne de la dorure du bronze par électrolyse et en installant au-dessus de l’autel une évocation de la Jérusalem céleste pour abriter tabernacle et ostensoir.
A la même époque, en 1855, on lui confie le projet d’achèvement et d’agrandissement de la cathédrale dont la construction s’est arrêtée cinq siècles plus tôt à la troisième travée de la nef, la privant ainsi de sa façade. Jugé sur le moment trop onéreux, ce premier projet n’aboutit pas mais l’évêque, Mgr Féron, profite de la visite à Clermont-Ferrand de l’empereur Napoléon III en juillet 1862 pour le relancer. Viollet-le-Duc s’attelle alors au projet définitif en prenant le parti de terminer la cathédrale dans le style gothique de la seconde moitié du XIIIème siècle qu’il affectionne, plutôt qu’en gothique flamboyant, ce qui aurait été le cas si le chantier avait pu être achevé à la fin du XIVème siècle. Il choisit aussi de réutiliser la pierre de Volvic ce qui contribue aussi à l’unité de l’ensemble. La première pierre est posée et bénie le 6 août 1866 et le nouveau chantier de la cathédrale peut commencer sous sa direction.
.
En 1872 Viollet-le-Duc décide de restaurer la charpente en très mauvais état en la remplaçant par des arcs en briques. Il fait refaire la toiture en plomb du XVIème siècle, en redessinant à l’identique la frise de la crête. Et à la suite du vœu fait par les Clermontois pendant la guerre de 1870 et en remplacement des statues fondues en 1793, il fait installer sur le pignon Est une Vierge à l’Enfant posée sur un arbre de Jessé, pendant du Saint Michel terrassant le dragon qu’il dessine pour le pignon de la façade.
La nef agrandie de deux travées et d’un narthex est ouverte au culte le jour de Noël 1874. Mais le 12 mai, Viollet-le-Duc a démissionné de son poste d’inspecteur général des diocèses de Paris, Amiens, Reims et Clermont et il s’est retiré à Lausanne où il mourra à 65 ans en 1879. Deux de ses disciples reprennent le chantier, d’abord Eugène Millet et en 1875 Anatole de Baudot qui terminera la construction de la façade en suivant scrupuleusement les plans et les dessins laissés par son maître (statues des apôtres de l’entrée ouest entourant le Christ bénissant, sculptures des tympans : Vierge à l’Enfant, Agneau mystique, au-dessus du portail principal Jugement dernier, statues des tours). Les flèches seront inaugurées en 1884 le jour de l’Assomption et le perron de la façade en 1902.
La cathédrale et la ville doivent donc beaucoup à Viollet-le-Duc. Il a remeublé le chœur en créant un nouveau style, néogothique. Et dans le prolongement de la cathédrale médiévale, il a dessiné la façade rêvée de sa cathédrale idéale, donnant une nouvelle puissance à la montée de la rue des Gras et une nouvelle silhouette à la ville pour qui la découvre de loin. En était-il conscient quand il laissait sa signature au pied du maître-autel, quand il prêtait sa tête à saint Paul à côté du Christ du grand portail ou quand il perchait sur un contrefort qui marque la limite entre l’ancienne et la nouvelle cathédrale un grand-duc, oiseau qui voit la nuit et symbole de l’artiste visionnaire, qu’il avait pris pour emblème ?
B.P.
.
.